Aujourd’hui 17 octobre, c’est la Journée mondiale du refus de la misère. Initiée il y a près de 30 ans par le père Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD Quart Monde, cette journée est destinée à sortir de l’oubli les plus démunis d’entre les humains. Pour y contribuer à ma façon – avec un son – j’ai choisi la poésie d’Arthur Rimbaud. Par la voix de Gérard Desarthe, plongeons-nous dans l’extrème misère des enfants de la fin du 19ème siècle. Le poème s’intitule Les Effarés, l’un des textes du recueil Poésies.
Les Effarés fut écrit par Arthur Rimbaud après l’échec sanglant de la Commune de Paris. S’il revenait sur terre près d’un siècle et demi plus tard, l’enfant de Charleville-Mézières constaterait que la misère n’a pas beaucoup perdu de terrain…
Rimbaud Arthur, le site
Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits, – misère ! –
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l’enfourne
Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.
Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,
Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu’ils sont là tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,
Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,
Si fort qu’ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d’hiver.
Arthur Rimbaud (1854 – 1891)