Une femme se dresse devant moi
Elle ressemble à tout ce qu’hier
J’ai vu de l’univers
Le jour d’avant j’ai pénétré
Dans cette chevelure
Forêt profonde forêt obscure
Où poussent et s’entrelacent
Les branches de mes pensées
Et aux usines de la face
Ô mon ennemie matinale
On fondait et façonnait hier
Tous les métaux de mes paroles
Et dans ses poings qui la défendent
Masses de fonte impitoyables
Je reconnais je reconnais
Les marteaux-pilons
De ma volonté
MON ALAMBIC vos yeux ce sont mes ALCOOLS
Et votre voix m’enivre ainsi qu’une eau-de-vie
Des clartés d’astres saouls aux monstreux faux cols
Brûlaient votre ESPRIT sur ma nuit inassouvie
JE suis au bord de l’océan sur une plage,
Fin d’été : je vois fuir les oiseaux de passage.
Les flots en s’en allant ont laissé des lingots :
Les méduses d’argent. Il passe des cargos
Sur l’horizon lointain et je cherche ces rimes
Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes.
Je pense à Villequier » arbres profonds et verts »
La Seine non pareille aux spectacles divers
L’Église les tombeaux et l’hôtel des pilotes
Où flotte le parfum des brunes matelotes.
Les noirceurs de mon âme ont bien plus de saveur.
Et le soleil décline avec un air rêveur
Une vague meurtrie a pâli sur le sable
Ainsi mon sang se brise et mon cœur misérable
Y déposant auprès des souvenirs noyés
L’échouage vivant de mes amours choyés.
L’océan a jeté son manteau bleu de roi
Il est sauvage et nu maintenant dans l’effroi
De ce qui vit. Mais lui défie à la tempête
Qui chante et chante et chante ainsi qu’un grand poète.
La nuit descend comme une fumée rabattue
Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste
Les soldats chantent encore avant de remonter
Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants
D’autres l’air sérieux épluchent des salades
J’attends de nouveaux poux et de neuves alertes
J’espère tout le courage qu’il faut pour faire son devoir
J’attends la banquette de tir
J’attends le quart nocturne
J’attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers
J’attends le grog à la gnole
Qui nous réchauffe
Dans les tranchées
La nuit descend comme une fumée rabattue
Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets
La nuit descend comme un agenouillement
Et ceux qui vont mourir demain s’agenouillent
Humblement
L’ombre est douce sur la neige
La nuit descend sans sourire
Ombre des temps qui précède et poursuit l’avenir(Guillaume Apollinaire 1880 – 1918)